Juillet 2016 : Aubusson et la tapisserie

L’ouverture de la Cité de la tapisserie d’Aubusson est un événement pour tous ceux qui se préoccupent de l’avenir de la création tissée sur métiers. Face aux difficultés des ateliers à trouver de nouveaux marchés dans le monde artistique, la transformation de l’école des Arts Décoratifs (transportée à Limoges) en Cité dédiée au rayonnement de la tapisserie est le point fort de la recherche d’un développement nouveau et un défi d’envergure. En raison de sa technique lente, minutieuse et attachée à la tradition, la tapisserie a depuis un siècle rencontré des difficultés à trouver des perspectives économiques et, à une époque où la rapidité des procédés entraîne les créateurs vers des outils répondant technologiquement plus à leurs aspirations, ces débouchés se raréfient encore.

A Aubusson, les ateliers privés ont su plusieurs fois déjà faire face à une baisse des commandes : après un rebond grâce à l’apport des peintres cartonniers durant les années 20, puis un sursaut du fait d’artistes qui ont suivi Jean Lurçat dans sa réflexion sur une production de tapisseries plus adaptées aux besoins contemporains, les ateliers trouvent des commandes, durant vingt ans encore. Et ceci grâce à l’intérêt que lui porte des peintres abstraits et des galeries, concevant dans la reproductibilité des œuvres en plusieurs exemplaires, un moyen de diffusion de leurs idéaux de popularisation de l’art.

La création de la Cité a la volonté d’attirer l’attention du public, et des collectionneurs, sur l’ensemble de cette histoire et sur les savoir-faire de haute qualité qui sont encore présents dans les ateliers de la ville. Quatre espaces principaux constituent le parcours muséographique : la Nef des tentures (parcours historique de la production tissée de la Marche, depuis le 15e siècle), Tapisseries du monde (ouvert aux productions de pays réalisant des objets textiles plus utilitaires et qui montre l’universalité des techniques de tissage) , Les Mains d’Aubusson (dédié à l’explication des multiples connaissances indispensables pour mener la réalisation d’une tapisserie et à la vision des outils nécessaires pour la mettre en œuvre) et la partie contemporaine (où se trouvent quelques pièces récemment tissées après appel à projet auprès des artistes d’aujourd’hui). Quatre espaces qui se veulent très didactiques et que l’on peut parcourir dans l’ordre que l’on souhaite, sachant que le plus important est le vaste espace d’exposition du rez-de-chaussée, la Nef des tentures. Sa scénographie en trompe-l’œil, inspirée des décors de théâtre, qui présente, dans un parcours chronologique, une sélection de 80 tapisseries et tapis, issus de la collection ou de prêts, est particulièrement réussie. Par contre nous ne pouvons en dire autant du choix qui a été fait de ne pas disposer de cartels et d’explications indispensables aux personnes non initiées. Le livret de visite, qui est distribué à l’entrée, est un beau petit catalogue que l’on est content de remporter avec soi, mais qui ne facilite pas la visite - tout au contraire - car il oblige continuellement à faire un va et vient entre les œuvres et les textes. C’est fastidieux et compliqué. Alors que les vidéos, intéressantes et touchantes, semblent se cacher et ne sont accessibles à l’écoute que de trop peu de visiteurs, les tablettes interactives ne nous ont pas convaincus de leur utilité.

Si nous insistons sur ces choix pour un espace qui, venant d’ouvrir, devrait avoir mis en place des moyens d’une grande efficacité, c’est que le hasard de nos visites en ce début de juillet nous a menés au château de la Trémolière, où se trouvent les dix remarquables tapisseries de la tenture d’Anglards-de-Salers, tissée au 16e siècle et classée Monument historique. Dans ce petit château, doté de peu de moyens, la visite est un plaisir tout simplement parce que pour remplacer cartels et panneaux explicatifs un audio-guide est proposé à l’entrée. Il permet non seulement de connaître l’histoire de la tenture et de repérer, dans le foisonnement de la représentation, les éléments remarquables, mais aussi de découvrir la technique utilisée. Dès le XVIe siècle, Aubusson est célèbre pour ses « verdures », des paysages où évoluent des personnages dans une végétation abondante, parfois ornée d’une frise de feuilles de chou. La tenture d’Anglards-de-Salers en est un exceptionnel exemple, mais, au lieu de contenir des personnages, elle représente, sur un fond de feuillage et de « feuilles de choux », des châteaux, des villes et surtout des animaux réels et imaginaires (comme évidemment des licornes et des dragons), locaux et exotiques (comme des lions).

Pour revenir sur la Cité, ajoutons encore que notre regret est grand de voir si peu d’espace dédié aux productions récentes. Si la problématique d’un nouveau renouveau de la tapisserie, tout en restant dans une technique traditionnelle de basse-lisse, est celle que se pose les acteurs locaux, il faudrait en faire une démonstration bien plus engagée et conséquente pour prouver ainsi que cela est possible et que tout est fait pour lui donner les moyens de son développement. C’est une entreprise difficile qui demande de prendre des risques et d’avoir beaucoup d’ouverture. D’ailleurs, si la SACTM (société des amis de la Cité internationale de la tapisserie) n’apporte, comme elle l’écrit dans son dépliant de présentation, qu’un éventuel soutien à la création d’ateliers de lissiers, en dehors de son appui au patrimoine, il va falloir développer d’autres énergies pour dépasser ce timide constat. Espérons que la Cité et la ville sauront les trouver.

Pour une information complète sur la cité :
https://geoculture.fr/la-cite-internationale-de-la-tapisserie-d-aubusson

Pour un complément avec une série de vidéos sur la tapisserie en Massif Central :
http://www.cite-tapisserie.fr/fr/actualites/battages-s%C3%A9rie-de-vid%C3%A9os-sur-la-tapisserie-en-massif-central