Septembre 2018 : Trizay – L’Isle-sur-la-Sorgue – Meymac, approche d’un nouvel engagement ?

Alors que depuis une dizaine d’années le textile retrouve une place dans la production artistique contemporaine, il faut constater que le Fiber art bénéficie d’un regard plus attentif et d’un regain d’intérêt. Car, jusqu’alors, on pouvait partager l’opinion de Glenn Adamson qui écrivait en 2007 que le mouvement du Fiber art « a débouché sur l’une des impasses la plus manifeste de l’histoire de l’art ». Aujourd’hui encore les artistes contemporains ne se réclament pas de ce courant du Fiber art des années 70/80, comme s’il avait manqué un théoricien qui aurait su trouver les assises de l’émergence de cette pratique et qui aurait défendu, pour l’histoire des mouvements artistiques, les raisons de sa floraison en plusieurs pays parallèlement. Par delà cette absence d’analyse théorique, les artistes abordent la fibre par un autre chemin.

Si le médium textile n’a pas su, en dehors de quelques années glorieuses, s’imposer durablement dans le domaine dans lequel il a développé ses premiers pas, on peut, en ce moment, visiter trois lieux d’expositions qui soutiennent, chacun avec une ouverture différente, les créateurs utilisant la fibre, le tissu, les fils de toutes matières, faisant de l’été en France une saison exceptionnelle pour le textile. Et ceci après que Sheila Hicks ait été très présente dans les musées français et étrangers.

Une des raisons de la redécouverte de Sheila Hicks aujourd’hui réside, d’après le critique d’art Frédéric Bonnet, dans un désir de retrouver des racines. On pourrait ainsi comprendre que ce qui se passe pour le textile dans les années 2000 s’approche de ce qui s’est passé dans les années 70, avec les différences que les bases artistiques ne sont plus les mêmes ou que les engagements politiques des artistes ont évolué. Anne Dresden, qui a été commissaire de l’exposition Décorum du Musée d’art Moderne de la ville de Paris, écrit avoir été interrogée par des pratiques contemporaines qui consistent à revenir à des pratiques artisanales et aux techniques traditionnelles, sans toutefois vouloir les maîtriser. Elle appelle ce courant le Néo-craft. Les artistes renouent avec le faire et le fait main en se réclamant d’une pratique amateur. Ils passent d’une technique à une autre, céramique, tissage, collage, assemblage, ce qui entraîne une ambiguïté des catégories admises et une redéfinition du geste artistique.

Le premier lieu à ouvrir a été la Villa Datris à l’Isle-sur-la-Sorgue. L’exposition Tissage tressage, quand la sculpture défile a choisi d’explorer les différents modes d’expression de la sculpture contemporaine à travers l’art textile. Puis l’Abbaye de Trizay a ouvert sa saison consacrée au textile par l’exposition Ikats, tissus de vie, un voyage de l’Orient à l’Occident, avant de la poursuivre par celle de Croiser TEXTILE/ART II. Enfin, le centre d’art contemporain de Meymac, avec De fil et de Fibres, constate que nombre d’artistes aujourd’hui se réapproprient, explorent ou détournent des techniques artisanales longtemps laissées de côté : ainsi du fil au tissage, en passant par le tricot, le patchwork ou encore la broderie. Des liens vous permettent de revenir en détail sur ces expositions d’actualité dont notre site rend compte.

Ce qui nous interroge – et nous réjouit pour ce que cela apporte de continuité – est le pourquoi de cette rencontre temporelle d’expositions consacrées au fil, à la fibre et à leurs usages, qui rendent compte d’expérimentations qui débouchent sur des pratiques artistiques foisonnantes, allant de l’installation protéiforme à l’objet, tout en mettant en relation des artistes de générations différentes. Les innovations radicales d’hier étant ainsi en perspective avec les recherches d’aujourd’hui.

Certains, comme les organisateurs de Meymac, pensent que le lent rééquilibrage du recrutement dans les écoles des beaux-arts et l’émergence en nombre de femmes plasticiennes ces trente ou quarante dernières années, amplifient cette évolution en revendiquant – dans un premier temps sur le mode de l’autodérision – la reconnaissance des techniques relevant à priori d’une création sans qualité, faiblement artisanale, parce que perçues comme étant spécifiquement féminines : le tricot, la broderie ou la couture. Mais, si les femmes ont toujours une place importante dans les créations artistiques qui ont pour référence les pratiques textiles, il ne s’agit pas que d’un emprunt aux pratiques manuelles traditionnelles. Le champ est plus large. Plus large, d’autant qu’il inclue parfois aussi celui de la tapisserie, qui a encore du mal à se défaire de la référence aux arts décoratifs auxquels on l’a liée.

Ce regain d’intérêt pour le fil et la matière souple s’est manifesté par l’importance de la place accordée aux installations textiles et aux œuvres réalisées à partir de médiums tissés, tressés ou noués lors des éditions 2017 de la Documenta de Kassel et de la Biennale de Venise. En redécouvrant des techniques et des matériaux, les artistes contemporains ouvrent un nouvel horizon à la sculpture. Le textile – fibre ou tissu – permet aux artistes plasticiens de puiser dans une matière extra-picturale, non dirigée vers la représentation et de travailler un matériau accessible, malléable et fluide – toutes qualités que la terre, le bois, le métal ou le verre ne réunissent pas. Ce que les artistes empruntent au textile et à ces techniques est intimement lié à ce qu’ils ont à dire de leur rapport au monde.

A la Galerie des filles du calvaire, à Paris, l’exposition de juin, du duo formé par Marion Laval-Jeantet et Benoît Mangin, Art orienté objet, questionnait le rapport changeant que l’humain, comme le non humain, entretient avec un environnement de plus en plus envahi par la science et la technologie. Les pièces présentées avaient en commun une certaine conception du processus créatif, celle d’une expérience éthique de l’œuvre. Elles convoquaient ce que le duo a érigé depuis le début de leur pratique en manifeste : le Slow art. En référence au Slow food, respectueux de la nature et de l’avenir, mais aussi parce que la fabrication des œuvres demande un temps déraisonnable dans leur constitution, tant sur la récupération du matériau que sur la réalisation.

Les artistes, qui convoquent dans leur travail des sciences aussi différentes que l’écologie, la biologie et l’ethnographie, peuvent ajouter à leur réflexion sur la forme et la matière de leurs œuvres, le recyclage et le numérique. Comme un engagement moral et social. Ce qui nous rappelle que les œuvres textiles, qui utilisaient, analysaient, déconstruisaient un savoir faire artisanal lointain, étaient souvent porteuses d’un message politique ou féministe, dans les années 1960/70.

Pour clore cette réflexion, tournons-nous vers le New York Textile Month (NYTM), dont la 3e édition se tient en septembre. Dans une recherche de réappropriation, il multiplie les événements à travers des manifestations dans des musées, des galeries, des salles d’exposition, des studios de design. Cela afin de faire redécouvrir les qualités des textiles, tout en défendant les traditions et un patrimoine en perdition.

 http://www.textile-art-revue.fr/expositions-en-cours/tissage-tressage/
 http://www.textile-art-revue.fr/expositions-en-cours/croiser-textile-art-ii/
 http://www.textile-art-revue.fr/expositions-en-cours/de-fil-et-de-fibres/
 http://www.textile-art-revue.fr/expositions-en-cours/new-york-textile-month-nytm-%F0%9F%8C%90/