Claude Como par Jean-Claude Le Gouic

Texte écrit à l’occasion de l’exposition de Claude Como au Cabinet d’Ulysse de Marseille, en septembre et octobre 2021.

 

Claude Como, invitation à un monde de sensations textiles

 

Les créations de Claude Como ont été exposées à la galerie Le Cabinet d’Ulysse à Marseille de fin août au 23 octobre 2021. Le titre de l’exposition SUPERNATURE annonçait l’ambiance. Dès qu’ils pénétraient dans la galerie les yeux des visiteurs étaient attirés par une multitude de couleurs, de formes et de matières qui peuvent s’apparenter à un monde végétal luxuriant par le gigantisme de l’installation, du sol au plafond et sur plusieurs murs de la galerie.

Claude Como n’est pas une artiste inconnue : née en 1964, elle interroge le monde de l’art depuis plus de 30 ans en investissant de nombreux moyens plastiques, tels que la peinture, la céramique ou l’installation. La présente exposition fait basculer une technique artisanale de création de tapis en laine vers une production artistique tout à fait originale. Depuis 2019, l’artiste développe une nouvelle forme de travail plastique : le tufting. Elle reprend un procédé est habituellement utilisé par les artisans. Comme eux elle projette, à l’aide d’une sorte de pistolet, de la laine au bout d’une aiguille à travers un support textile. Claude Como tire parti de cette technique pour oublier le format rectangulaire habituel des tapis comme des tableaux et pour inventer un grand nombre de figures aux découpes variées et de tailles différentes. Les formes, caractérisée chaque fois par un dessin de contour particulier, sont ici ensuite distribuées sur le mur pour constituer des ensembles réunis par des accords colorés. On imagine bien que ces dispositions pourraient être différentes en d’autres temps ou d’autres lieux. Chaque pièce est unique et possède son propre titre, mais leur réunion valorise le sentiment d’unité dans la diversité. Dès lors c’est aux regardeurs de constater les différences entre les créations singulières ou les ensembles afin de se former un jugement à partir de leurs intérêts esthétiques personnels. Ceux qui ont l’œil tactile considèrent les différences de matières obtenues avec des poils bouclés ou coupés, doux ou secs, mais aussi par des amoncellements constituant de légers reliefs par endroits. D’autres, plus enclins à ressentir les accords de teintes, préfèrerons s’attarder sur les alternances de subtilités colorées ou de contrastes marqués. D’autres encore préfèreront s’éloigner et laisseront leur imagination former des associations : les accords formes couleurs suggèrent souvent une végétation luxuriante, exotique, tropicale. Tout ne se voit pas de prime abord, il faut un peu de temps pour éprouver la diversité. Cette installation dans la galerie demande que l’on s’y arrête, que l’on avance et que l’on recule plusieurs fois.

La propriété de la matière textile ainsi travaillée en tufting, est d’installer des textures différentes qui suscitent une tactilité tranquille. On constate dès lors combien le façonnage du textile participe du sentiment de la couleur. La perception sensible du coloris teint est différente de ce qui se rencontre dans d’autres arts : la couleur n’est pas éclairée du dedans comme lorsqu’on est devant une peinture. Ainsi travaillée la couleur va bien au-delà du cosmétique. La couleur fait corps avec la matière travaillée ; les couleurs, sont là dès l’origine, elles n’apparaissent pas comme un adjuvant ornemental ou décoratif.

Le regard du visiteur doit se faire multiple. Il a le choix entre la séduction des couleurs, l’examen des différentes textures des matières créées et les organisations plastiques variées mise en place par l’artiste. Ces œuvres, toujours inventives, proposent de nouveaux dessins, tant pour les découpes de contour que pour les figures internes, avec pour chaque pièce des distributions des espaces internes – externes judicieux. Au final ce qui nous enchante ce sont ces «desseins» inédits élaborés lors des rapprochements des figures textiles ayant chacune leur personnalité propre. La sensualité de la laine touffetée et les accords de couleur qui séduisent les regards sont devenus les points centraux du travail de l’artiste. La palette de Claude Como déjà immense reste toujours ouverte. Dans une volonté à faire dialoguer la matière de la laine avec les couleurs, cette artiste réussit toujours à ce que chaque couleur puisse dire son nom. La perception des couleurs est aussi modifiée par superposition ou juxtaposition de leurs intensités. Suivant les lieux les effets colorés et les luminosités favorisent soit les mélanges optiques soit les contrastes simultanés.

La prégnance de couleur chez Claude Como s’oppose à la dématérialisation recherchée par de nombreux artistes, surtout ceux qui se rapprochent du monochrome. Pour cette série d’œuvres les couleurs de l’artiste marseillaise sont associées à des matières sensorielles et même souvent sensuelles. Dans l’ensemble comme dans les détails l’artiste réussit à nous montrer les propriétés de la laine pour ce qu’elles sont, pour leur souplesse, leurs possibles torsions, leur tombé et leur capacité à foisonner. L’envie que l’on éprouve de toucher la surface de la laine montre combien l’approche du regardeur est ici plus haptique que optique.

Pour cet ensemble de pièces cette artiste se place dans une posture résolument contemporaine : elle manipule parfaitement les matériaux, en maintenant une distance assez neutre entre elle et ses créations. Elle donne à voir sans se donner à voir. Pourtant à travers cette création elle s’est rendu compte que cette profusion de formes et de couleurs à consonance végétale lui rappelait son enfance passée en Côte d’Ivoire. Il faut souvent longtemps aux artistes pour donner une forme plastique à des souvenirs marquants. On se souvient que Henri Matisse lui même ne réalisera des œuvres d’inspiration océanienne (Océanie, La Mer, 1946) qu’une quinzaine d’année après sont séjour à Tahiti en 1930.

Par son choix initial d’élaboration d’une œuvre au croisement de divers champs artistiques : artisanat, design, art ethnique, art contemporain, Claude Como parvient à donner corps un imaginaire singulier. Le spectateur éprouve un sentiment de jouissance dans le parcours visuel de l’exposition. L’œil circule des larges découpes en envolée sur les murs de la galerie aux accumulations de matières richement colorées à l’intérieur de chaque module, en passant par de multiples micro-événements singuliers. La réussite de l’artiste est de développer tout au long de ce cheminement visuel des sensations multiples toujours variées.

Jean Claude Le Gouic, octobre 2021