Texte écrit pour le catalogue de l’exposition Francis Wilson au Musée Jean Lurçat de la Tapisserie contemporaine d’Angers, en 2020.
Concordance de temps
Episode 1
En 1976, Francis Wilson vit depuis dix ans en France, partageant son temps entre Paris et la Provence. Cette année-là il réalise une première pièce tridimensionnelle en fibres de coco nouées qui sera accrochée l’année suivant à la Galerie Monte-Carlo, située rue Beaubourg à Paris, pour une exposition intitulée Soft Art.
Cette même année 1976, des passionnés de tapisserie, élèves dans l’atelier de Pierre Daquin – licier formé à la manufacture des Gobelins qu’il a quittée pour créer son propre atelier afin de tisser ses œuvres ou d’interpréter celles d’artistes cartonniers – se rencontrent au CREAR (Centre de recherche artistique), hébergé au château de Montvillargenne à Gouvieux, dans l’Oise. Ils décident de créer une association, Le Groupe Tapisserie, dont le but est d’organiser des expositions d’art textile et d’éditer un bulletin d’information, DRI A DI, organe de liaison entre les artistes, les spécialistes et tous les amateurs qui partagent un intérêt pour les remarquables évolutions de la tapisserie en cours depuis déjà une dizaine d’années en Europe et aux Etats- unis.
Ainsi, durant l’année 1977, une première exposition des tapisseries des membres de l’association est montée au FIAP à Paris, tandis que Francis expose pour la première fois dans une galerie, la galerie Monte-Carlo. C’est aussi l’année où se tient au Musée des Arts Décoratifs de Paris l’exposition Artiste/Artisan ?, sous le commissariat de François Mathey qui soulève, par les confrontations qu’il opère dans cette exposition, cette problématique qui touche particulièrement tous les membres du Groupe Tapisserie.
Si c’est en fibre de cocoEn rendant visite à un artisan qui possède des bobines de fibre de coco, Francis découvre dans la magnanerie de celui-ci d’étranges tapis en fibres de coco, appelés scourtins, qui servent à filtrer l’huile d’olive. Ils ont la forme d’un grand béret ou d’une sorte de corbeille plate et ronde repliée sur elle-même qui a pu inspirer les Mutta de 1978, de Francis Wilson. que Francis a réalisé ses premières pièces, il poursuit son travail de nouage en réalisant de nouvelles oeuvres en chanvre brut, retravaillées au marker. Ces pièces, exposées en 1979 au Centre Fontblanche de Vitrolles, sont inspirées par la lecture de The Ashley book of KnotsThe Ashley book of Knots, éditions Doubleday, Doran and Co., Inc, New-Yotk, 1960, 1er édition 1944., un épais livre illustré sur la technique des nœuds, qui a eu une grande importance dans le choix d’une pratique textile pour Francis. Outre la participation de ces travaux à l’exposition intitulée « Tapisseries et structures textiles » au Musée de la Tapisserie d’Aix-en-Provence, de plus grandes tapisseries figurent, la même année, à l’exposition organisée par Malitte Matta et Marie-Claude Jeune, « Espace et Matières – six artistes contemporains » à L’E.L.A.C. (Espace Lyonnais d’Art Contemporain) de Lyon. Les cinq autres artistes (Marinette Cueco, Gilbert Garnier, Michel Goday, Odile Levigoureux et Anne-Marie Millot) ont tous, à un moment ou un autre, comme Francis, été le sujet d’un article dans la revue TEXTILE/ART DRI A DI.
À la même époque Le Groupe Tapisserie s’associe à la Maison des métiers d’art français – à travers sa délégation régionale Alpes-Côte d’Azur – et au Groupe des Créateurs en Tapisserie pour organiser le 1er Symposium Rencontre Art Textile, à Cannes, en novembre 1979. Si cette manifestation est un début de reconnaissance de l’art textile en France et de contact avec les pouvoirs publics pour l’association, elle est pour les participants un exceptionnel lieu de rencontre. De nombreux artistes sont invités à présenter leur travail plastique et les discussions enthousiastes autour de l’importance de la sensibilité textile dans l’art renforcent la volonté de tous de, non seulement créer des œuvres radicales, mais aussi de mener des études approfondies sur la place du textile dans l’histoire – la présentation des recherches et du futur livre de Patrice Hughes, Le Langage du TissuLe Langage du Tissu, 4ème trimestre 1982, 470 p., diffusion Textile/Art/Langage. , sont à ce sujet un des moments mémorables des rencontres. Francis fait partie des artistes invités et il y retrouve Pierre Daquin qui, après avoir vu les petites sculptures en textile empreintes de terre rigidifiée, l’avait encouragé à continuer dans la voie très personnelle qui est la sienne. Une voie allant à l’inverse de la propriété de souplesse du textile. L’avis de Daquin, sélectionné aux Biennales de Lausanne de 1969 et 1971, est d’une grande importance pour un artiste débutant.
Le numéro 14 de TEXTILE/ART DRI A DI de décembre 1980 consacre un article au travail de Francis, sous la plume de Michel Thomas, le directeur de la publication, qui écrit avoir été très frappé par l’aspect primitif des œuvres quand il les a vues à L’E.L.A.C. de Lyon. La revue choisit de faire la couverture de ce numéro 14 avec la reproduction de la pièce « Red bag ». Cette image s’est imposée naturellement, alors que la revue, imprimée en noir et blanc, vient de décider un passage à la couleur pour ses couvertures.
Le travail de Francis Wilson, qui crée son propre langage, à la facture dense, en empruntant à la technique des nœuds, trouve toute sa place dans la ligne de la revue. Rappelons que, dès ses débuts, la revue DRI A DI a été un relais important en France des Biennales de Tapisserie de Lausanne défendant depuis 1963 le mouvement de La Nouvelle tapisserie. Les artistes de ce courant s’affranchissent de la tapisserie de lice traditionnelle par des techniques inventées ou reprises à d’autres traditions (vannerie, macramé, patchwork…). Les choix éditoriaux de la revue – par rapport à ce qu’ils étaient à sa création – ont fait que ses lecteurs se sont multipliés bien au delà des membres de l’association initiale et une clarification a été nécessaire : en 1981 le titre est abandonné pour celui de TEXTILE/ARTUn passage progressif se fait du titre DRI A DI ( driadi est un terme technique pour nommer l’enroulement du fil de trame autour d’un ou plusieurs fils de chaîne) à celui de TEXTILE/ART en intitulant la revue TEXTILE/ART DRI A DI durant cinq numéros. Elle est éditée par une nouvelle association, Textile/Art/Langage., qui a une référence moins artisanale et une résonnance plus internationale.
Alors que Francis Wilson est sélectionné pour la 10ème Biennale Internationale de la Tapisserie de Lausanne, en 1981, l’association Textile/Art/Langage entame une collaboration avec les Manufactures nationales de tapis et tapisseries pour organiser des expositions, intitulées Identités Textiles, qui vont se tenir à la Galerie nationale de la tapisserie de Beauvais, dans l’Oise. Il est prévu que les catalogues paraissent dans la revue. Ainsi, Francis ayant été choisi, en 1984, pour cette suite de présentations individuelles, le numéro 13 de TEXTILE/ART, contient le catalogue de son exposition, avec un texte de Gilbert Lascault. Francis Wilson prend ainsi la suite de Pierrette Bloch (1982), de Lia Cook (1983), de Pierre Daquin (1983) et de Patrice Hugues (1984). La dernière exposition Identités Textiles est consacrée à Edward Baran (1985).
L’oeuvre Memories of a Santacruzian Spring, exposée à Lausanne, montre l’engagement vers la couleur que prend Francis. Cette pièce et les suivantes des séries Chalunga et Chulla sont une transition entre le travail textile et le travail de peinture qui va préoccuper de plus en plus Francis Wilson. On peut se rendre compte de cette évolution à Beauvais, ainsi qu’à l’exposition Fibres Art 85 qui a été installée au Musée des Arts Décoratifs de Paris, sous le commissariat de Michel Thomas, et au Centre Pablo Neruda de Corbeil -Essonne.
Pendant ces mêmes années Textile/Art/Langage et sa revue poursuivent également une évolution, également très dynamique, mais, pour elles, de plus en plus orientée vers l’industrie textile.
Episode 2
Il semble que chacun se fatigue après une époque si enthousiasmante de création textile. Francis Wilson, comme d’autres créateurs, délaisse la fibre pour se diriger vers la peinture et le dessin qu’il a toujours pratiqué. Parallèlement, l’intérêt pour le contenu de TEXTILE/ART décroît, alors que les investissements sont, eux, plus importants. L’association est obligée de stopper ses parutions et de liquider l’ensemble de son fonds documentaire qui était accessible dans un centre de documentation ouvert au public. Une grande partie de ce fond est donné à la bibliothèque du Musée de la tapisserie d’Angers, en 1987. Le désamour pour la fibre se ressent particulièrement en France, mais aussi en Suisse : le CITAM (Centre internationale de la tapisserie ancienne et moderne) de Lausanne qui, après avoir mis en place de splendides biennales montrant le travail d’artistes du monde entier, décide l’arrêt de la Biennale internationale de la Tapisserie.Seize Biennales de la tapisserie se sont tenues à Lausanne de 1962 à 1995.
S’il n’y a plus de grandes expositions, ni de galeries consacrées au textile, un petit lieu de rencontre exceptionnel permet à tous ceux qui ont été proches de la revue d’exposer et de se retrouver. De juin 1991 à juin 2018, Catherine et Michel Périn vont, trente fois, transformer leur appartement en galerie éphémère. Francis Wilson y expose des dessins aux crayons de couleur sur calque et mine de plomb sur calque, en 92 et 97, ainsi que des dessins et pastels en 2003. On ne peut oublier que Catherine fut une des élèves passionnés de l’atelier de Pierre Daquin qui ont créé le premier DRI A DI. Dans une grande fidélité à la revue et à ses collaborateurs, elle invitera également quatre fois Pierre Daquin à montrer son travail, mais encore Reyhanat Kitabgi, Anne-Marie Milliot, Françoise Pelenc et moi-même.
Episode 3
Les années 2000 ont déjà dix ans et l’art textile semble de plus en plus oublié. Alors qu’Internet permet d’être informé de tout, de nombreux créateurs, même s’ils ont participé à des expositions textiles importantes durant la décennie 1975-85, n’ont pas d’existence dans ce domaine, puisque les lieux qui les ont exposés n’ont pas transféré leur données sur la « toile ». Une discussion entre Francis et moi nous incite à créer pour lui une page personnelle, afin que l’on puisse retrouver son parcours et quelques unes de ses œuvres. Cette page faite, Wikipedia nous informe que celle-ci n’est pas assez référencée. Reste donc à créer aussi une page Textile/Art afin de faire un lien qui permettra d’authentifier la réalité des faits… Jean-François Mathieu, qui fut le libraire de l’association et qui avait ouvert la librairie Tepee consacrée au textile, propose de faire plus : un site. Il sera celui d’une nouvelle association que nous créons avec Françoise Pelenc. Quand le site est mis en ligne en 2013, nous le concevons comme un site historique dédié à l’histoire des revues et du centre de documentation, mais rapidement sa partie consacrée à l’actualité prend bien plus d’importance que nous l’avions pensé. Hasard, ou pas, il naît l’année où le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris met l’art textile en lumière dans une grande exposition.
L’intérêt nouveau pour la création textile reprend et le site permet de soutenir une nouvelle génération de créateurs autant que de redécouvrir ceux qui, portés par une sensibilité particulière au tissu et à la fibre, inventèrent des formes et initièrent la sculpture souple. C’est dans cette intention que l’association monte deux expositions, intitulées Croiser Textile/ArtCroiser Textile/Art, du 30 mai au 31 octobre 2015 à la Maison des Toiles de Saint-Thélo dans les Côtes d’Armor et Croiser Textile/art II, du 30 août au 11 novembre 2018 à l’Abbaye d’Art de Trizay en Charentes-Maritimes., dans lesquelles, évidemment, Francis Wilson est invité à montrer des œuvres de grandes dimensions.
Nadia Prete
Décembre 2019
Journaliste de Textile/Art et animatrice du site textile-art-revue.fr