Éditorial

Visite dans les ateliers textiles de l'école Duperré

 

Depuis 2018, l'enseignement de l'école se fait sur un parcours de 3 ans qui donne un diplôme de DNMADE (diplôme national des métiers d'art et du design).

Lors des portes ouvertes 2025, nous avons été très étonnées d’observer le changement des classes tapisserie et tissage en constatant le grand nombre de métiers à tisser qui n'étaient pas aussi présents il y a quelques années, et en découvrant des laboratoires nouveaux tels que le tufting et la teinture végétale.

C'est en profitant du changement du parcours scolaire qui était avant un DMA (diplôme des métiers d'art), que, dans l’atelier tapisserie, treize métiers de haute lice venant du Canada ont été installés. Ils côtoient des métiers de table et quelques cadres, permettant ainsi aux étudiants d'apprendre la technique classique comportant une vingtaine de points à tester, puis de tenter des expériences en détournant les techniques apprises pour trouver leur singularité, en toute liberté.

Pour mieux comprendre cette évolution, nous avons souhaité rencontrer les professeures Marion Dufau en tapisserie et Marie-Charlotte Hebert en tissage, ainsi que leurs élèves. Actuellement il y a 48 étudiants inscrits dans le parcours Filières Textiles et Matériaux Coordonnés et 60 dans le parcours Savoir-faire, Luxe et Innovation Tissage qui se répartissent sur un cursus de 3 ans.
De nombreux ponts s'effectuent entre les deux ateliers, même si l'un est théoriquement plus consacré aux matériaux et l'autre aux surfaces et motifs. C'est assez naturel puisque les deux techniques enseignées partagent une donnée de base : l'entrecroisement d'une chaîne et d'une trame.
De plus, la quête de matériaux et d'objets qui viennent renouveler les supports, réunit le travail de chacun des ateliers.

 

 

 


En écoutant, face à leurs travaux, les motivations de quelques élèves récemment diplômés, nous avons pu évaluer ce que ces deux ateliers ont en commun et comprendre les motivations profondes de ces étudiants qui ont un réel intérêt pour le travail de la matière textile.
L’ambition de l'atelier tapisserie est de se servir du potentiel des techniques « traditionnelles » de façon innovante et prospective afin d'encourager les étudiants à développer leurs champs d’expérimentation. Les échantillons et objets qu’ils réalisent illustrent leurs connaissances techniques de base autant que la créativité qui a émergé de cette compréhension, celle-ci cherchant souvent son inspiration dans des matériaux récupérés. Ainsi, Lou Lamotte réalise des miniatures porte bonheur, pour certaines portables, dont elle a glané les éléments (minéral, végétal et animal) qui lui servent de substituts de métiers à tisser.

 

 

A contrario, May de Sousa tisse avec des cordes et des fils épais pour produire des masques, des bannières et des objets incongrus constitués pour la plupart à partir de carrosserie de voiture, le tout au service d'un projet de parade.

En tissage, deux formations sont proposées : luxe et savoir-faire qui se destine à la mode au service d'une collection et mode et textile qui concerne plutôt l'ameublement et des collections textiles. La première a un pôle broderie et la deuxième un pôle maille.

L’atelier et la spécialité tissage permettent d’aborder un enseignement technique fondamental, basé sur la réalisation d’échantillons de tissus obtenus sur des métiers à tisser manuels et informatiques.
Une large place est laissée à une démarche créative par la recherche de nouvelles textures, fils, tissus, tout en s’initiant à d’autres techniques : crochet, maille, impression, broderie, vannerie, au travers de thèmes collectifs dont la finalité est le plus souvent mise en en scène dans le cadre d’une exposition temporaire ou d’un salon professionnel.

Comme le montre Lola Pommeray qui récolte du crin, des cheveux, des poils de chien qu'elle introduit dans ses tissages, après les avoir parfois filés au fuseau, et avant de les travailler en feutrage, les étudiants de cette formation sont tout aussi tournés vers les expérimentations et la récupération de matériaux que ceux de l'atelier tapisserie.
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Tristan Dufour, s'appuie lui sur sa culture libanaise et son exil pour réaliser des tissus qui lui permettront de délimiter des espaces de vie tels que des tentes et des tapis, tandis qu'Adèle Langrenne, s'inspirant d'un roman, expérimente le tissage programmé pour échantillonner des textures qu'elle retravaille en feutre et plis, afin de domestiquer le tissu.

 

Depuis huit ans que Marion Dufau enseigne, elle nous dit avoir constaté que les étudiants n'ont plus le même rapport au temps qu'au début de son enseignement. La patience a changé, remarque la professeure. Ils apprécient les techniques qui donnent des résultats rapides. Quelques étudiants sont à la recherche de la lenteur, mais la plupart d'entre eux est plus enclin à l'immédiateté.
C'est peut-être pour cette raison que l'atelier tuft, suivi par les élèves en première année, suite au semestre consacré à la tapisserie, leur apporte de grandes satisfactions. Le pistolet, qui imite le résultat du point noué, permet une approche beaucoup plus rapide de la création de tapis. Il envoie mécaniquement la laine dans un tissu tendu, pour créer une surface épaisse de l'autre côté de la toile. Même s'il faut, comme en tapisserie dessiner un projet et son carton, la technicité s'approche de la réalisation d'un dessin exécuté en direct, s'éloignant des contraintes spatiales du métier à tisser.

 

C'est par cet atelier, tout récemment créé par la professeure, que l'on peut constater l'ouverture de l'enseignement vers des techniques innovantes et en plein essor aujourd’hui, techniques qui éloignent encore plus les ateliers de la pratique artisanale.
Dans ce même élan de modernité, Marion a l’intention d’installer dans son atelier un métier Jacquart qui offrira l'opportunité aux étudiants de rejoindre le mouvement des artistes contemporains qui se tournent de plus en plus vers cette technique leur permettant de faire produire rapidement des tentures de grandes dimensions.

Pour résumer cette rencontre, il est bon de remarquer que l’enseignement de la tapisserie et du tissage s'efforce de rester fidèle aux techniques de bases traditionnelles et que dans le même temps, une grande ouverture est offerte aux élèves, ce qui leur permet de définir plus précisément leurs aspirations nées d'une première attirance assez floue pour le textile et la mode. De plus, des partenariats, tel que celui avec la manufacture de Tourly récemment créée dans l'Oise, les oblige à se confronter aux demandes de leur futur métier de designer.

Ajoutons que les ateliers sont ouverts non-stop aux étudiants et qu'ils en ont fait leurs espaces de travail et de rencontre. Ils aiment s'y retrouver, même si ce n'est pas pour travailler sur les outils mis à leur disposition : ils y mûrissent leurs projets.